"La construction de l'identité sur le lieu de travail : Différentes réactions des groupes ethniques minoritaires à une politique de diversité organisationnelle dans une entreprise manufacturière française"
Yang, I., Bacouel-Jentjens, S. (2018)
Cette étude examine comment une entreprise manufacturière française réagit aux forces institutionnelles concernant sa politique de diversité et comment les employés y réagissent, en particulier ceux qui appartiennent à des groupes minoritaires non pris en compte par la politique. Ces questions sont pertinentes pour la légitimité des politiques de diversité organisationnelle et les perceptions de la diversité par les employés dans des environnements particuliers.
La diversité peut se référer aux différences en général, mais les caractéristiques démographiques basées sur le sexe et l'appartenance ethnique sont devenues l'objectif principal des politiques de diversité dans les entreprises du monde entier (Chatman et Flynn, 2001). Les femmes et les groupes ethniques minoritaires sont les groupes à statut inférieur les plus largement reconnus (cf. Terjesen et Sealy, 2016), car leur particularité physique est facilement apparente et donc susceptible de faire l'objet d'une catégorisation stéréotypée et d'une discrimination (Phinney et al., 2006). La société est de plus en plus consciente des inégalités entre les sexes et les groupes ethniques et de nombreux pays ont adopté une législation visant à améliorer le statut des groupes défavorisés et à codifier leur droit à l'égalité des chances (Reichel et al., 2010).
Notre étude porte sur la diversité organisationnelle dans le contexte français, ce qui est particulièrement intéressant car la France a adopté deux approches différentes de la diversité, l'une fondée sur la loi et l'autre sur le volontariat (Klarsfeld, 2009). La France a, par exemple, adopté des lois pour garantir l'égalité des sexes, mais le modèle universel de citoyenneté de la France ne reconnaît pas les groupes ethniques minoritaires, de sorte que la France s'est abstenue de collecter des statistiques basées sur l'appartenance ethnique et religieuse. Par conséquent, alors que la politique de diversité des genres est encadrée par la loi, les programmes de diversité ethnique sont volontaires. Étant donné la divergence d'approche du gouvernement français en matière de genre et d'ethnicité, nous nous sommes intéressés aux réactions des minorités ethniques aux politiques de diversité organisationnelle qui traitent de la discrimination fondée sur le genre, mais pas de la discrimination ethnique. Il s'agit d'un sujet important car la France compte une importante communauté de minorités ethniques (les Maghrébins et les Africains sub-sahariens sont les minorités ethniques les plus importantes) et la politique de diversité n'englobe pas l'ethnicité.
Bien que la France ait une longue histoire d'immigration, la diversité culturelle est un concept controversé car le modèle français de "citoyenneté universelle" s'oppose au multiculturalisme (Tatli et al., 2012). Le modèle français considère l'intériorisation des valeurs universelles comme une caractéristique majeure du processus d'intégration nationale (Schnapper et al., 2003). La République française sépare les sphères publique et privée, ainsi que l'État et l'Église, et l'expression de l'appartenance culturelle, religieuse ou ethnique et la différenciation fondée sur cette appartenance doivent rester dans la sphère privée (Bertossi, 2011). Les individus sont censés assimiler les valeurs nationales universelles indépendamment de leur identité religieuse ou ethnique (Heckmann et Schnapper, 2003). Près de 45 % des Français se déclarent agnostiques ou athées (INED-INSEE, 2010) et le paysage religieux français se caractérise par une sécularisation continue ; néanmoins, on observe l'émergence de la religion musulmane, principalement parmi les immigrés et les descendants d'immigrés.
Dans les années 1970, 40 % de la main-d'œuvre étrangère, mais seulement un tiers des Français, occupaient des emplois industriels (Bracke, 2009). En particulier, dans les années 1960, jusqu'à 50 % de la main-d'œuvre ouvrière de l'industrie automobile française employée sur les sites de production parisiens était composée d'immigrés (dont un tiers d'Algériens ; Pitti, 2006). Paris et sa banlieue sont les principaux centres économiques de la France et attirent donc 40 % de la population immigrée, en particulier celle originaire d'Afrique (Brutel, 2016).
Nous avons analysé les données de 35 entretiens afin de caractériser les efforts déployés par les organisations pour se conformer aux réglementations sous la forme d'actions positives en matière de genre. Parmi les minorités ethniques, trois réactions différentes ont été observées face aux politiques d'action positive fondées sur le sexe qui n'étaient pas accompagnées de politiques d'action positive fondées sur l'appartenance ethnique : l'indifférence, la focalisation sur les questions de genre et le mécontentement. Nous proposons trois constructions identitaires pour expliquer ces réactions : la dissociation, l'association sélective et l'identité exacerbée, respectivement. L'ensemble de nos résultats démontre les effets de ruissellement des forces institutionnelles sur la politique de diversité de l'organisation, et donc sur la construction de l'identité des minorités au sein de l'organisation.