"Identifier les déterminants de la stratégie de capital-risque des entreprises : Evidence from French firms", à paraître dans International Journal of Entrepreneurship and Small Business,
Brinette, S., Khemiri, S. (2019)
Résumé
Le capital-risque d'entreprise (CVC) est le capital-risque des sociétés non financières et diffère du capital-risque qui est un type de financement fourni par des fonds ou des entreprises spécialisés dans la constitution de portefeuilles financiers à haut risque. Le CVC est une forme de coopération entre les grandes entreprises et les jeunes pousses innovantes. Le CVC permet aux entreprises d'accroître leur innovation, grâce à un accès instantané aux nouvelles technologies fournies par les start-ups, sans les coûts élevés associés à la recherche et au développement. En retour, les jeunes pousses bénéficient de l'assistance managériale des grandes entreprises.
Le capital-risque des entreprises est devenu une préoccupation majeure des praticiens et des universitaires.
Les déterminants de la décision d'adopter une stratégie de CVC n'ont été étudiés que dans le contexte américain. Dans le contexte français, la littérature existante est rare, alors que les engagements français dans les CVC ont fortement augmenté au cours de la dernière décennie. En 2016, l'investissement dans les CVC a atteint 2,7 milliards d'euros contre 1,5 milliard d'euros en 2015. Cette augmentation a été favorisée par un dispositif d'incitation fiscale adopté par le gouvernement français en septembre 2016. Ce dispositif vise à permettre aux entreprises de contribuer davantage au développement des petites entreprises innovantes. L'objectif de ce travail de recherche est d'explorer les variables qui pourraient expliquer la décision des grandes entreprises établies de lancer ou de rejoindre un fonds de corporate venture.
Notre étude est réalisée sur une base de données de toutes les entreprises françaises qui ont adopté une stratégie de capital-risque d'entreprise (CVC) entre 1995 et 2015. Cette base de données spécifiquement collectée comprend 58 grands groupes listés dans l'indice SBF 120, dont 29 groupes qui ont lancé ou rejoint des fonds de CVC, les 29 autres groupes constituant notre échantillon de contrôle.
Afin d'évaluer empiriquement dans quelle mesure les différentes caractéristiques d'une entreprise peuvent expliquer sa décision d'adopter une stratégie CVC, des régressions logit multivariées et des régressions linéaires multiples de Poisson sont effectuées.
Les résultats montrent que la stratégie CVC d'une entreprise est une fonction croissante de la force de ses ressources spécifiques, de ses performances, de la disponibilité des ressources et de son faible niveau d'endettement.
Les résultats soulignent que les entreprises disposant de ressources spécifiques importantes sont des partenaires attrayants et bénéficient de plus d'avantages dans le cadre de la stratégie CVC. Cette stratégie permet aux grands groupes et aux jeunes entreprises de partager leurs ressources et d'obtenir un avantage concurrentiel.
Les performances financières basées sur la comptabilité ont un effet positif significatif sur la décision d'entreprendre des investissements en CVC. Toutefois, les résultats ne sont pas statistiquement significatifs lorsque l'on utilise des mesures de performance financière fondées sur le marché.
Nos résultats montrent également que l'existence de flux de trésorerie disponibles au sein de l'entreprise a une influence positive et significative sur la décision d'adopter une stratégie CVC. Nous expliquons ce résultat par la littérature axée sur les conflits d'agence. Cette littérature montre que les conflits d'agence peuvent être dus à la disponibilité de liquidités (Jensen, 1986). Il est certain que plus l'entreprise dispose de flux de trésorerie disponibles, plus les dirigeants sont incités à agir au détriment des intérêts des actionnaires. Nous pouvons donc affirmer que l'adoption d'une stratégie de CVC est un moyen de limiter ce type de conflits d'agence.
Le niveau d'endettement a un effet négatif significatif sur la stratégie de CVC. Les entreprises moins endettées sont plus susceptibles de faire du capital-risque. En fait, une entreprise moins endettée fait preuve d'une plus grande flexibilité financière, ce qui lui permet d'allouer des fonds à l'innovation.
Cette étude apporte plusieurs contributions. Nos résultats fournissent des lignes directrices aux managers qui souhaitent adopter une stratégie CVC. Ils peuvent observer si leurs entreprises présentent les mêmes caractéristiques que leurs homologues CVC. Ils peuvent également s'inspirer des grands groupes qui ont adopté avec succès la stratégie CVC dans les secteurs des logiciels (Dassault Systèmes), de la chimie (Solvay, Saint Gobain), de l'énergie (Alstom, Suez Environnement, Total et Veolia Environnement) et des télécommunications (Bouygues Telecom, Orange, SFR et Nokia).